Défendre nos biens communs
Des factures d’eau qui s’élèvent à plus de 1500 euros. Tel est l’origine de la longue bataille menée par les habitants d’Aubervilliers pour mettre un terme aux prélèvements de Véolia et demander la gestion de l’eau en régie publique.
|AUBERVILLIERS| - La bataille de l'eau, la défense d'un droit au cœur de la banlieue parisienne
« Ce qu’on veut, c’est payer l’eau à un prix équitable qui soit toujours le même pour tout le monde«
La fin du prélèvement de 12 millions d’euros par an de Veolia aux 200 000 familles à faibles revenus de la banlieue Nord de Paris. C’est ce qui est gagné après des mois de mobilisation par les membres de l’alliance citoyenne d’Aubervilliers.
Une longue bataille commencée en juin 2016, au moment où les 30 000 locataires des logements sociaux d’Aubervilliers ont reçu une facture pour la régularisation des charges d’eau qui couvre la période 2012-2015. Pour certains d’entre eux, la somme s’élève à plus de 1 500 €. Beaucoup ont paniqué.
« On ne peut pas sortir autant d’argent. Nous sommes locataires de logements sociaux. Pourquoi tant que ça ? C’est une erreur de gestion de la société de logement, ce n’est pas juste que ça nous tombe dessus comme ça ».
« On a des factures d’eau exorbitantes » Laurent, habitant d’Aubervilliers, porte-parole de l’Alliance Citoyenne.
« Il y a un truc extraordinaire à Aubervilliers, en un an, le coût du mètre cube d’eau a changé trois fois. Il était à 4,30€ l’hiver dernier, quand l’Alliance Citoyenne a mis en place une interpellation des candidats à l’élection législative pour justement dénoncer des facturations d’eau datant d’il y a trois ans. Puis il est passé à 4,22€ au printemps suivant, pour finalement monter à 4,27€ quatre mois plus tard. Le mètre-cube d’eau est donc à 1€ plus cher à Aubervilliers qu’à Paris, alors que nos revenus sont deux à trois fois moins élevés qu’à Paris ! Du coup, on reçoit des factures exhorbitantes qu’on ne peut pas payer. Ca va jusqu’à des sommes de plusieurs milliers d’euros – moi par exemple c’est 1400€ pour ma famille.
Dans tous les cas, qu’on ait une régie publique ou pas, ce qu’on veut d’abord, c’est payer l’eau à un prix équitable et qui soit toujours le même pour tout le monde. Qu’il ne varie pas comme ça. Nos foyers ne peuvent pas subir des hausses et des baisses du prix de l’eau de cette manière. Ce n’est pas possible et ce n’est pas gérable. Et ça c’est essentiel. Il faut savoir ce qu’on veut : soit de la colère, soit de la gestion. La question que nous posons, à l’Alliance Citoyenne, c’est une gestion transparente du problème. »
80 habitants se réunissent quelques jours après la réception de la facture et décident de faire de ce problème leur priorité absolue. Un grand nombre de locataires demandent des explications et font des réclamations. Suite à un rendez-vous avec la direction de l’OPH, les habitants obtiennent une première victoire : le montant des factures est réduit de moitié environ (les régularisations sur les années 2012 et 2013 étant annulées) et le paiement des factures ne commencera qu’à la fin du mois d’octobre, date à laquelle le bureau vérifie les demandes de tous les locataires.
Après cette victoire, restez une question. Pourquoi le coût de l’eau est-il si élevé ?
L’enquête menée par l’Alliance Citoyenne permet d’observer que le mètre cube d’eau coûte 4,26 euros en banlieue contre 3,41 à Paris. Pourtant, le revenu médian des voisins parisiens est beaucoup plus élevé que celui des Albertivillariens. Pourquoi ? Parce que Paris dispose d’un système de gestion publique alors que le réseau d’eau du quartier Saint-Denis est sous-traité à Veolia.
Début 2017, la bataille pour l’eau s’intensifie. Deux cents habitants des quartiers d’Aubervilliers multiplient les actions sur leurs élus et la mairie concernant le prix de l’eau trop élevé et le problème de la sous-traitance à Veolia. Ils appellent et rendent visite à tous les députés locaux, les élus régionaux, de district et de ville, leur offrant des bouteilles d’eau et leur demandant leur position sur le système de gestion de l’eau. Lors des élections d’avril-mai, les huit députés locaux acceptent de venir à une assemblée de quartier d’Aubervilliers pour défendre leur position sur le système de gestion de l’eau. Ils se sont montrés réceptifs aux demandes des habitants et ont accepté de se joindre à eux pour défendez le droit à l’eau.
La question a fini par figurer en tête de l’agenda politique local au cours de l’été. Le maire a accepté de tenir un débat public sur la question en septembre, tandis que l’équipe municipale s’est opposée au renouvellement du contrat avec Véolia. La pression publique se poursuit grâce à la mobilisation continu des habitants d’Aubervilliers ajouté au travail du collectif « L’eau publique pour Saint-Denis » et d’une coordination régionale de l’eau. Le 19 décembre 2017, la majorité des municipalités de gauche du district vote la suspension de leur adhésion à l’association régionale de l’eau (le Sedif), qui sous-traite la gestion de l’eau à Veolia, et prévoit de revenir à un système public. Cette victoire a été un jalon qui a placé la petite alliance citoyenne parmi les acteurs publics de la banlieue nord de Paris.