Eléments de faits face aux accusations de Gérald Darmanin

Eléments d’information pour les médias et les organisations partenaires après la lettre de Gérald Darmanin à la Commission Européenne du 22 mars 2021

 

1- Rappel des faits :

Alliance Citoyenne (AC) est une association nationale comptant 2 154 adhérents habitant les agglomérations de Grenoble, Lyon, Aubervilliers et …(Seine-St-Denis) et Strasbourg. Les membres sont majoritairement issus des classes populaires qui se réunissent pour agir collectivement sur les questions sociales qui les concernent et l’accès aux droits.

En avril 2020, dans le cadre d’un appel à projets lancé par la Commission Européenne (CE), l’Alliance Citoyenne et ses partenaires ont déposé le projet “Femmes musulmanes debout pour que la tolérance soit la règle (Muslim women standing to make tolerance a rule)”. Ce projet en trois axes part du problème de l’existence de nombreux règlements interdisant l’accès à des femmes musulmanes portant un voile à des salles de sport, des bowlings, des centres de formation professionnelle ou des centres de soins. Sous couvert d’interdiction des couvre-chefs ou des signes religieux sans raison légale qui les justifie, ces règlements sont facteurs d’exclusion pour les femmes concernées. Des discriminations que le Défenseur des Droits a condamné à plusieurs reprises[1] et qui sont reconnues par de nombreuses enquêtes[2].

L’évaluation du projet menée par des auditeurs indépendants pour la Commission européenne a reconnu que “les femmes musulmanes sont l’un des groupes les plus vulnérables touchées par l’intolérance” et que le projet de l’Alliance Citoyenne peut leur permettre de  “devenir des actrices du changement dans leurs communautés ou auprès des institutions avec lesquelles elles interagissent”[3]. Le projet a ainsi été retenu le 8 octobre 2020 avec la note de 89.5/100 basée sur des critères précis et exigeant conformément aux standards élevés de la Commission européenne.

Fin 2020, la Commission Européenne a adressé un courrier demandant des clarifications sur le projet d’Alliance Citoyenne sur les actions d’accès à l’égalité en droit des femmes voilées. L’AC y a répondu avec le plus de précisions possible. [Réponse accessible ici]

2- Les affirmations infondées du ministre français de l’Intérieur

C’est avec stupéfaction que l’AC a appris le 25 mars 2021 dans le journal Le Parisien-Aujourd’hui en France que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a envoyé une lettre à la Commission Européenne demandant l’annulation de la subvention au projet porté par l’association Alliance Citoyenne dans le cadre d’un consortium associatif.

  •  L’Alliance Citoyenne porte-t-elle un « projet politique de rupture »?

Le ministre Gérald Darmanin classe l’AC parmi les associations qui « répandent un projet politique de rupture, parfois sous couvert d’anti-racisme ». Dans ses actions passées, les femmes musulmanes membres de l’association ont demandé le droit de se baigner dans les piscines publiques en tout mixité et de pouvoir y accompagner leurs enfants. Pour faire cela en respectant leurs convictions religieuses, elles ont simplement demandé le droit de porter un maillot de bain à manches longues qui respecterait les conditions d’hygiène et de sécurité. Dans d’autres cas, elles demandent le droit de faire du sport, jouer au football ou suivre des formations tout en portant un foulard pour respecter leurs convictions religieuses. Il est mensonger de parler d’un projet politique de rupture alors que les demandes de l’Alliance Citoyenne visent l’inclusion, la mixité et la tolérance. Le ministre ne peut considérer la liberté de manifester sa religion ou sa conviction tant en public qu’en privé et le respect de l’article 18 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme comme une rupture avec les valeurs de la République.

  • Les membres de l’Alliance Citoyenne ont-ils de la compassion pour les victimes du terrorrisme?

Le ministre de l’Intérieur affirme plus loin dans son courrier que: « Les membres de cette association sont des adeptes de la théorie du complot et n’expriment aucune compassion pour les victimes du terrorisme. Ainsi Madame Hammouti une des porte-parole de l’association, a t’elle-déclaré publiquement à propos des attentats effroyables de 2015 à la rédaction de Charlie Hebdo : « N’oubliez jamais que c’est Charlie qui a dégainé le premier. »

Mme Hammouti n’a jamais « déclaré publiquement » cette phrase, mais a partagé un visuel sur Facebook la mentionnant le 9 janvier 2015 (date à laquelle elle n’était pas encore engagée avec l’association puisqu’elle est devenue membre en 2018). Cette phrase est absolument condamnable car elle encourage et justifie la haine et la violence et nie la souffrance des victimes et de leurs proches. Elle ne reflète en rien les idées et valeurs des « membres de l’association » comme le suggère le Ministre et est en désaccord total avec les valeurs de l’Alliance Citoyenne qui promeut la non-violence, une société inclusive et le respect des libertés fondamentales. Taous Hammouti ne se reconnait pas dans ces propos et a également partagé, le jour même et ceux qui suivent d’autres post condamnant fermement le terrorisme : « Contrairement à ce qu’on dit les assassins (…) c’est notre religion, nos valeurs et nos principes islamiques qui ont été trahis et souillés. Une condamnation absolue et une colère profonde contre cette horreur (…) [et] ma profonde sympathie et mes sincères condoléances pour les familles des victimes » (partagé le 10 janvier 2015). Elle s’est plusieurs fois expliquée dans la presse, et à nouveau récemment en affirmant que « sur Facebook, je partage des choses mais ce ne sont ni mes mots, ni mes propos, et je n’y adhère pas »[4], elle reconnait que « c’était une erreur de partager cela », et rappelle qu’elle avait « exprimé à chaque attentat [ses] condoléances aux familles des victimes et dénoncé chaque attentat odieux comme tout Français »[5]. Mme Hammouti ne peut être réduite à un post partagé il y a 6 ans. Citoyenne exemplaire engagée dans son quartier, elle est parent d’élève déléguée dans les écoles, collège et lycée de ses enfants, membre active du Conseil Citoyen du Village 2 d’Echirolles, ancienne administratrice d’une fédération des parents d’élèves (FCPE), actrice dans une troupe de théâtre contre les discriminations et féministe de longue date.

Il est étonnant que le ministre de l’Intérieur fasse mention de prétendus faits remontant à 6 ans, qui n’ont jamais fait l’objet d’une procédure judiciaire. Porter de telles affirmations salissant l’ensemble des membres de l’association en se basant sur un post partagé sur les réseaux sociaux est un mensonge et une calomnie extrêmement grave venant d’un Ministre. C’est une condamnation arbitraire sans jugement d’une citoyenne respectable, et une punition collective qui insulte et tente de disqualifier la parole des milliers de citoyens et citoyennes engagés bénévolement pour défendre leurs droits dans les quartiers populaires.

3- Intervention d’un ministre dans l’évaluation d’un projet européen : un précédent dangereux

Dans sa lettre, le ministre de l’Intérieur remet indirectement en cause le processus de sélection de projets de la Commission Européenne. Ce qu’il demande s’apparente à un droit de veto pour que les gouvernements nationaux choisissent les associations qui pourraient bénéficier des subventions européennes.  Or, le processus de sélection de projet de la Commission Européenne est extrêmement rigoureux et indépendant; il se constitue de plusieurs filtres de sélections et vérifications. La Commission Européenne vérifie aussi les projets et l’adhésion des organisations aux valeurs de l’Union Européenne (art 2 du Traité, pluralisme, égalité, non-discrimination etc.). 

Cette volonté d’ingérence dans l’indépendance de la Commission européenne en matière de sélection de projets financés sur des fonds européens crée un précèdent dangereux, que ne manqueront de surveiller d’autres gouvernements tentés par des censures identiques, autant que les autres associations et organisations progressistes européennes engagées dans la lutte contre les discriminations et le racisme.

4- Remarques conclusives

Le ministre de l’Intérieur tente de criminaliser la lutte contre l’islamophobie. Il reproche à l’AC d’avoir « étendu son champ d’action à la dénonciation d’une prétendue islamophobie institutionnelle de la France ». En demandant de couper l’argent public à l’association, le ministre de l’Intérieur entrave ceux qui militent contre les discriminations subies par les personnes de confession musulmane alors même que ces discriminations sont en recrudescence[6]. En jetant l’opprobre sur les personnes, groupes et associations, cette tentative cherche en réalité à disqualifier les minorités ethniques et religieuses engagées dans la défense de leurs droits. 

L’Alliance Citoyenne

Grenoble, le 7 avril 2021

[1] Voir la décision MLD-2015-102 du 13 mai 2015 ou la décision 2018-013.

[2] Voir par exemple le rapport récent de la Fondation Jean Jaurès qui met en avant les discriminations qui ciblent les femmes musulmanes https://jean-jaures.org/nos-productions/des-discriminations-sous-estimees-les-musulmans-en-france

[3] Evaluation summary report, Muslim women standing to make tolerance a rule, Associated with document Ref. Ares(2020)5273027 – 06/10/2020

[4] Anaïs Condomines, « Opération burkini à la piscine de Grenoble : comment fonctionne l’association Alliance Citoyenne, taxée de « militantisme islamiste » ? », LCI, 26 juin 2019

[5] Jean Benoit Vigny, « On est avant tout et d’abord des femmes », Le Dauphiné Libéré, 29 mars 2021.

[6] Cf. rapport de la Fondation Jean Jaurès cité plus haut