Ce jeudi 29 juin 2023, le Conseil d’État a rendu son verdict final sur le recours déposé en novembre 2021 par le collectif des Hijabeuses contre la Fédération Française de Football. Ce recours visait à clarifier juridiquement la conformité de l’application du principe de laïcité et de neutralité sur les terrains de football. Contre toute attente, le Conseil d’État n’a pas suivi son rapporteur public qui avait donné raison aux Hijabeuses quelques jours plus tôt en demandant à la FFF de modifier l’article 1er de ses statuts en tant qu’il interdit, notamment, le port de signes religieux.
C’est une véritable injustice pour les Footballeuses qui attendaient le verdict du recours qu’elles avaient déposé un an et demi plus tôt devant le Conseil d’État.
Syndicat de femmes sportives impulsé par l’association Alliance Citoyenne et la sociologue Haifa Tlili, les Hijabeuses interpellaient la plus haute juridiction de l’État pour réaffirmer le droit de toutes les femmes de jouer en compétition officielle de foot, peu importe leur genre, leur appartenance religieuse ou leur origine ethnique et sociale. Alors que la FIFA et le Comité International Olympique autorisent le port du voile respectivement depuis 2016 et 2014, la France fait exception dans son règlement en s’appuyant sur un prétendu “ordre public sportif” et le principe de neutralité dans le sport pour interdire le port de signes religieux sur les terrains.
Trois jours plus tôt, le rapporteur public du Conseil d’État rendait un avis donnant raison aux Hijabeuses et à leur avocate Marion Ogier. Selon lui, le droit des libertés publiques est clair et sans équivoque : sont seuls soumis au principe de neutralité les agents du service public. Les joueuses étant considérées comme des usagères, ce principe ne s’applique pas, leur permettant de jouer en compétition officielle tout en portant un voile. Cette décision rendue un an avant la tenue des Jeux Olympiques en France n’est pas passée inaperçue. Comme souvent lorsque le débat concerne le corps des femmes ou la pratique de l’islam, le sujet à suscité des réactions violentes du monde médiatique et politique.
Le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est dit “très opposé” à cette conclusion et la Première Ministre Elizabeth Borne a affirmé que le gouvernement était “très mobilisé pour faire appliquer le principe de neutralité dans le sport”. RN, LR et Renaissance ont immédiatement voulu légiférer sur le sujet, l’association Alliance Citoyenne a fait l’objet de propos diffamatoires concernant ses modes d’actions et de financement, tandis que le cyber-harcèlement sur les réseaux sociaux a été particulièrement virulent envers des membres du collectif. Le Conseil d’État lui-même, a dénoncé dans un communiqué hier, les attaques et pressions ayant visé la juridiction administrative et tout particulièrement le rapporteur public.
C’est dans ce contexte sensible que le Conseil d’État a, de manière très inhabituelle, refusé en ce jeudi 29 juin de suivre les conclusions de son rapporteur public et a donné raison à la FFF.
Le Conseil d’État argue que l’interdiction des signes religieux apparaît nécessaire pour prévenir “tout affrontement ou confrontation sans lien avec le sport”. En ce sens, il interdit donc à des femmes de jouer au football pour éviter les réactions violentes que cela pourrait susciter, selon la logique – de culpabilisation de la victime que dénoncent, entre autres, les mouvements féministes de longue date.
Par cette décision, le Conseil d’État intègre la violence contre les femmes, contre l’islam, qui existe dans la société française comme un fait que l’on pourrait éviter par l’exclusion des victimes elles-mêmes.
Cette décision est inquiétante en ce qu’elle ouvre la voie à ce que les discriminations soient invisibilisées au nom de l’ordre, plutôt que combattues au nom de la liberté. Dans le contexte actuel de banalisation de la xénophobie en France, le collectif s’inquiète des prochaines étapes de cette logique délétère.
Pour combattre ce mouvement nauséabond, les Hijabeuses n’excluent pas de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour faire valoir en France une liberté qui est déjà garantie partout ailleurs en Europe.
Elles appellent également toutes les personnes et organisations que cette décision inquiète à se mobiliser avec elles pour préparer la suite. Le combat continue.